21h. New Hôtel of Marseille
Dîner terminé, ordinateur sur un coin de table, portable attenant ; le papier métallisé et froissé d’un chocolat trône aux côtés d’une tasse de café à demi vide et froide. Les doigts vont et viennent, tapant quelques mails. Ouvrant et fermant quelques tableurs. Le bar de l’hôtel vit cette heure creuse où les premiers arrivants terminent encore leur digestion.
Il travaille d’une main distraite et d’un œil qui peine à cette heure tardive à s’intéresser à ses dernières notes. La journée a été longue, intense. Peuplée de rendez-vous, de cafés bus à la hâte, de parkings, notes de frais , d’appels et de messages laissés sur des boîtes vocales. L’endroit est bien calme à cette heure. Il se jure d’arrêter dans dix minutes. Et ce depuis vingt minutes. Coup d’œil à la serveuse. Rien qui ne vaille de s’y attarder. Les soirs de déplacements sont décidément difficiles à combler comme il se doit. Un léger courant d’air envahit le hall, un parfum flotte dans l’atmosphère, le serveur salue d’un « Bonsoir Madame » qui fait immédiatement tourner son regard vers la présence féminine qui vient de s’asseoir à la table d’à côté. Proche.
Trop proche.
Il suffit de peu parfois pour faire beaucoup. Un signal quasi primaire, qui pousse à briser les distances et les soirs solitaires. Elle est jeune, mais pas assez pour paraître sortie de l’œuf. Elle est blonde, Fatale, et ses cheveux longs agissent comme les filets d’un marin. Talons aiguilles vernis . Rouge à lèvre pourpre. Yeux tirés au noir et ongles longs . Son odeur a pris tout l’espace, qui semble s’être soudain réduit au seul périmètre de sa pulpeuse silhouette ; tous les regards sont tournés vers elle. Le sien ne déroge pas. Il ne laisse pas passer plus d’une minute avant de l’aborder, déjà séduit et sûr de lui.
Trop sûr .
- Bonsoir.
Les yeux bruns se tournent vers lui.
- Bonsoir. Répond-t-elle seulement.
L’absence d’un sourire, d’une gêne même infime le laisse sur un sérieux doute. Attend-t-elle quelqu'un ?
- Puis-je vous offrir un verre ?
Elle marque une seconde. Une hésitation peut-être ? Le serveur rôde dans l’attente d’un seul mot d’elle. Et lui aussi.
- Pourquoi pas.
- Que buvez-vous ?
- Un rhum blanc.
- Sec ?
- Toujours sec.
Elle ne cille pas. Il songe qu’elle a l’habitude de se faire offrir à boire. Sûr de lui, il s’imagine qu’elle est escorte. Qu’elle est venue rabattre le client. Et qu’il est ce client ce soir. Avait-il mieux à faire que de consentir à ces jeux qu’il aime, comme tous, lorsqu’il en a les moyens ? Il ne remarque pas le bagage qu’elle a déposé sur une chaise attenante. Après quelques banalités, il songe l’avoir ferrée. Ou songe qu’elle songe l’avoir ferré. Une sensation de chasseur victorieux gratifiante, qui le pousse à tenter le tout pour le tout. Joueur de cartes.
- Je suis persuadé que vous apprécierez un dernier verre dans ma chambre.
- Vous êtes persuadé.
Retourne-t-elle, un brin cynique . Quel prétentieux…
- Mh mh…
- Hé bien, si vous portez mon sac, je peux vérifier cela.
Et laissant l’addition et un pourboire, fier de terminer sa nuit accompagné d’une telle créature – qu’importe son prix – il se baisse un peu pour saisir le gros sac de cuir… Assez lourd. Sans commentaire, il ouvre donc la marche et la guide dans le dédales des couloirs, prenant les escaliers plutôt que l’ascenseur .
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