Après notre nuit à trois dans mon appartement, les messages d'Antoine se firent de plus en plus rares. Parfois tenaillé par l'envie que je lui choisisse un vêtement, un cuir, une robe qu'il achetait avec l'excitation neuve d'un enfant, parfois laissant une conversation à l'abandon, trop occupé pour y répondre, le bellâtre opposait ses inconstances à mes humeurs. Il devenait de plus en plus compliqué de se voir, le brun ne trouvant pas matière à se libérer. Je commençais à m'ennuyer. J'avais bien quelques autres amants, la question n'étant pas de m'occuper mais d'honorer un contrat tacite, la soumission ou la domination d'Antoine. Qu'il se passe quelque chose, plus qu'une maudite fois dans le mois.
Un jour où je passais dans son quartier, je lui annonçais ma visite presque improviste... J'aimais refaire le chemin de son appartement, serpenter en talons et en jeans dans ses escaliers, arriver devant la porte sans plaque et me taire, écoutant les bruits trahissant sa présence... J'aimais jouer, audacieuse, j'avais envie de vibrer sans crainte des conséquences. J'avais 20 ans.
Il ouvrit la porte, pour une fois en tenue quotidienne, je compris vite qu'il était bien occupé. Dans son salon , le grand coin cuisine était un chantier innommable. Une cuisine neuve. Nous étions loin de son premier appartement, exigu et chargé où le jeune businessman dissimulait à grand peine sa croix de st André entre deux costumes. Je tombais mal. Antoine tenta de ne pas me le faire sentir, mais l'atmosphère était différente de tout ce que j'avais pu ressentir chez lui jusqu'ici. Une autre femme aurait pensé que le trio passé était peut-être la cause de cet éloignement naissant... Mais moi , je me souvins des yeux qu'Antoine avait ce soir là. Ces yeux embués de plaisir, son corps-offrande que j'aurais pu lacérer pour qu'il en redemande encore... C'était autre chose. Il inversait la vapeur. Était trop occupé, égocentré momentanément. Je détestais perdre le contrôle, si tant est que je l'avais réellement eu une fois avec lui. Je le quittais après un bref échange, sans sexe ni cérémonie. Antoine n'aimait pas les surprises... Je le notais et l'ajoutais aux autres petites choses qu'il ne fallait pas aborder avec lui.
Sortir à son bras.
Parler de lui.
J'étais une jolie plante à arroser de temps en temps entre quatre murs. J'étais sa Maîtresse, sa Dame, mais en faisant de moi sa Domina c'était lui qui se servait de moi. Antoine se présentait sur une pente dangereuse. Pas parce qu'il ne se pliait pas à mes caprices mais parce qu'il ne souhaitait pas s'exprimer sur le pourquoi de toutes ses réticences. Les cadeaux et les belles soirées ne remplaceraient jamais l'authenticité d'une discussion entre quatre yeux. Je n'avais jamais souhaité ni abordé l'idée d'être une amante régulière mais je n'aimais pas parler à un mur. L'impression tenace de perdre mon précieux temps creusait son chemin, les jours passants...
Mon meilleur ami vint de Strasbourg passer quelques jours chez nous. J'avais parlé de lui à Antoine parfois, le Strasbourgeois lui connaissait ma vie libertine dans ses moindres recoins. J'émettais le souhait d'une soirée avec mon mari , Antoine et mon ami afin que ce dernier puisse mettre un visage sur cet amant bisexuel qui fascinait un peu. Rien de grivois, bien au contraire ... Une sortie dans un endroit cosy pour boire un verre et discuter. Prendre le temps de faire autre chose qu'habituellement. Cette rencontre rendrait un peu de sa superbe à une liaison qui commençait à me faire trop réfléchir. J'étais très excitée de la perspective de présenter un être cher à mon amant marseillais, peut-être qu'ainsi, il se livrerait plus facilement. Cela faisait plus d'un an que nous nous fréquentions après tout... La réponse tarda un peu à arriver. Elle scella mes opinions.
- "Est-ce dans un lieu public?"
Je le méprisais. Une chape de plomb. Une réponse. Tout ce temps perdu.
-"Allez vous faire foutre. "
Je ne sais plus bien les mots de ma réponse. Mais je sais qu'ils étaient soigneusement choisis. Des mots comme une baffe, libératrice d'une frustration que je n'aurais jamais cru m'infliger durant ces derniers mois. Aucun homme ne me résistait. Antoine devait disparaître, tout entier de ma mémoire pour le simple fait d'avoir essayé. Antoine devait savoir.
-" Vous m'emmerdez profondément. Votre vision du sexe se résume à quatre murs et quelques coups de fouets. Vous vous dites libéré mais en réalité vous êtes radicalement obtus et ne m'amusez même plus. Nous irons nous amuser sans vous. Bonne continuation."
Au cours des mois suivant j'eus d'autres relations BDSM, et rencontrais des soumis d'une remarquable fidélité. Mon épanouissement contribuait à ne rien regretter et à me confirmer qu'Antoine m'avait forgée. Dénué de toute fierté, il revint me parler parfois. Je pris un plaisir fou à le mépriser encore et encore, de quelques mots. De quelques maux.
" Vous ne me méritez pas."
Comments